Exposition sur les récupérateur·trices

Du Mexique au Québec : récupérer pour la planète et le bien commun

Partout à travers le monde, des dizaines de millions de personnes vivent, exclusivement ou en grande partie, de la collecte et de la revente de matières recyclables, que ce soit dans les dépotoirs municipaux ou des espaces urbains comme les parcs, trottoirs et ruelles. On les appelle « catadores » au Brésil, « zabbalines » en Égypte, « pepenadores » au Mexique ou encore « valoristes » au Québec.

Ces personnes rendent des services inestimables à la planète et à la société en détournant des centaines de milliers de tonnes de matières recyclables des lieux d’élimination (enfouissement ou incinération), des espaces publics et de l’environnement, notamment des cours d’eau. Elles effectuent cette activité dans des conditions très souvent pénibles et parfois dangereuses. Pourtant, ici comme ailleurs, elles subissent de multiples formes de marginalisation et d’exclusion sociale alors qu’elles mériteraient certainement notre gratitude et notre solidarité, mais surtout, une reconnaissance de leur rôle, de leur travail et de leurs droits.

Cette exposition, co-réalisée par le Centre international de solidarité ouvrière (CISO), la Coopérative de solidarité Les Valoristes et le Conseil central du Montréal métropolitain – CSN, pose un regard croisé sur la réalité des membres de deux organisations : la Coopérative de solidarité Les Valoristes de Montréal, Québec  et l’Unión de Trabajadores de Desechos Sólidos Industrializables “Lázaro Cárdenas del Río” à Dolores Hidalgo dans l’état de Guanajuato au Mexique.  

La Coopérative de solidarité Les Valoristes,

fondée en 2012, regroupe des personnes qui collectent sur une base régulière des contenants consignés. Le retour et les quelques sous remis en échange permet tent pour nombre d’entre eux de couvrir des besoins essentiels : logement, nourriture, santé, etc.. La coopérative gère des points de dépôt temporaires et un centre de dépôt-consigne permanent au centre-ville de Montréal. Elle vise notamment à construire des ponts entre des mondes qui s’ignorent, par l’inclusion sociale de personnes souvent marginalisées et la légitimation de leur activité grâce à une meilleure organisation et au dialogue avec les acteurs institutionnels et gouvernementaux de la consigne.

L’Unión de Trabajadores de Desechos Sólidos Industrializables “Lázaro Cárdenas del Río”

regroupe des récupératrices et récupérateurs de déchets à Dolores Hidalgo et vise la défense de leurs droits.  Depuis 2018, le CISO une organisation intersyndicale de solidarité internationale basée à Montréal, appuie un programme de renforcement de l’Unión et d’autres organisations de récupératrices et récupérateurs au moyen d’activités de formation, d’information sur les droits et d’économie sociale et solidaire.  Ce programme est mené en partenariat avec une organisation syndicale mexicaine, le Frente Auténtico del Trabajo (FAT).

À l’occasion d’un stage au Mexique organisé par le CISO en 2020, le militant syndical Benoit Taillefer, du comité solidarité internationale du CCMM – CSN, a pris connaissance de la réalité de ces travailleuses et travailleurs du recyclage informel, de l’importance de leur rôle écologique et de leur lutte pour la reconnaissance de leurs droits.  Artiste photographe, il nous propose, à travers ses portraits de valoristes et de « pepenadores », une réflexion sur la logique d’un système économique qui favorise la surproduction et l’hyperconsommation et qui génère des quantités astronomiques de déchets, tout en maintenant des acteurs environnementaux essentiels dans la marge. 

Une contribution écologique considérable

Chaque année au Québec, près de 652 millions de contenants consignés, soit près de 2 millions par jour, sont jetés aux ordures ou abandonnés dans la nature plutôt que d’être recyclés1. En récupérant et en retournant ces contenants d’aluminium, de plastique ou de verre, les valoristes contribuent de façon significative à réduire le volume de déchets polluants, à nettoyer les espaces publics et à protéger l’environnement urbain. À elles et eux seuls, les membres de la Coopérative Les Valoristes ont détourné plusieurs millions de contenants consignés de l’élimination ou de l’abandon depuis sa fondation.

« Pollueurs anonymes / récupérateurs anonymes. »
– Bernard, valoriste de Montréal

Au Mexique, même en l’absence de programmes municipaux de recyclage, le taux de récupération des contenants en plastique de type PET (60%) est le plus élevé d’Amérique latine et dépasse même celui du Canada2. Pour l’ensemble des types de plastiques, on parle d’un taux de 30% de recyclage3, soit 340 000 tonnes par année4. Toute l’industrie du recyclage dans ce pays repose en majeure partie sur le travail informel de récupération effectué par les « pepenadores » dans les dépotoirs.

« La personne qui nettoie a plus de valeur que celle qui salit. »
– Jesus, pepenador de Dolores Hildago

Nos sociétés posent un regard très souvent empreint de préjugés et de stigmatisation sur les récupérateurs et récupératrices.

Contrairement à un stéréotype particulièrement tenace, par exemple, il ne s’agit généralement pas de personnes en situation d’itinérance.

Selon une enquête réalisée à Montréal en 20215, la très grande majorité (87,8 %) des valoristes disposent d’un logement. De plus, près de la moitié (42%) ont complété des études postsecondaires. Dans la plupart des cas, l’utilisation du dépôt-consigne géré par la Coopérative leur donne accès à un complément monétaire essentiel dans des contextes de précarisation grandissante : cherté des logements, salaires ou revenus de retraite insuffisants, instabilité de l’emploi ou exclusion du marché du travail pour des raisons de santé ou d’incapacité.

On peut donc dire que le travail comme valoriste contribuerait plutôt, dans les faits, à prévenir l’itinérance pour des personnes en situation économique précaire.

Au Mexique, dans de nombreuses municipalités, le moyen de subsistance des pepenadores est de plus en plus menacé par des projets de privatisation de la gestion des déchets, un marché très lucratif qui fait l’objet de nombreuses convoitises, y compris par de grandes multinationales.

Ces projets consistent souvent à enfouir ou à incinérer les ordures plutôt que de les recycler. Au lieu d’être pris en compte dans le cadre d’une approche inclusive et socialement responsable du recyclage, plusieurs millions de pepenadores sont généralement exclu.e.s des espaces décisionnels et considéré.e.s comme des « pauvres », des « marginaux », des « nuisances » voire même des « délinquant.e.s ».

Au Québec, au fil des années, grâce notamment aux efforts de sensibilisation et de représentation de la Coopérative, la prise en considération de l’activité des valoristes et des réalités parfois difficiles auxquelles ils et elles sont confronté.e.s s’est améliorée. Cependant, il s’agit là d’un effort qui doit être continuellement soutenu pour s’assurer, notamment dans un contexte de modernisation de la consigne, que les valoristes, leur apport environnemental essentiel, le filet social que constitue la consigne et les solutions offertes par l’économie sociale soient réellement intégrés par les décideurs publics et les gestionnaires du futur système de consigne modernisée.

« J’ai le droit de récupérer le dépôt des contenants que
je trouve dans la rue… Sans être discriminé! »
– Denis, valoriste de Montréal

Une question de justice environnementale et sociale 

La Coopérative et l’Unión jouent chacune à leur manière un rôle important pour appuyer l’organisation collective des valoristes et des pepenadores afin que leur voix soit entendue et respectée comme porteuse d’alternatives vers la justice climatique.  

En tant qu’organisations d’économie solidaire, la Coopérative Les Valoristes et l’Unión Lázaro Cárdenas del Río visent toutes les deux, dans leurs contextes respectifs, la justice sociale, l’inclusion, le respect des droits et la reconnaissance du travail essentiel des récupérateurs et récupératrices. Elles contribuent au développement social et humain des espaces urbains, en plus de jouer un rôle non négligeable dans la sensibilisation et l’éducation environnementale des populations du Québec et du Mexique.

Les deux organisations font partie d’un plus vaste réseau international appelé:

l’Alliance internationale des récupérateurs6

Voix des recycleuses et recycleurs à travers le monde, l’Alliance plaide notamment : 

  • Pour que les initiatives de Responsabilité élargie des producteurs (RÉA), comme le projet de modernisation de la consigne au Québec, tiennent compte du rôle des récupératrices et récupérateurs informels et de leur contribution à la gestion des matières résiduelles et au recyclage; 
  • Pour le droit au travail pour les récupératrices et récupérateurs ainsi que leurs droits en tant que travailleuses et travailleurs; 
  • Pour faire reconnaître le rôle des récupératrices et récupérateurs en tant que travailleuses et travailleurs qui contribuent de façon significative à la lutte contre le changement climatique. 

Mettre la lumière sur ce travail de l’ombre, c’est aussi révéler les injustices et les impacts environnementaux et humains du système économique actuel. Cela souligne notre interdépendance, au fil de la production, de la surconsommation, de la génération de déchets, puis finalement leur traitement, qui peut détruire davantage la planète ou permettre de protéger la nature de laquelle nous dépendons toutes et tous. Cette exposition est un appel à une solidarité avec les valoristes et les pepenadores, solidarité qui constitue en soi le germe d’une alternative vers une transition juste et une plus grande justice climatique.

  1. https://consignaction.ca/des-pertes-environnementales-et-monetaires/ ↩︎
  2. https://www.milenio.com/negocios/gracias-pepenadores-mexico-lider-reciclaje-pet ↩︎
  3. https://www.dineroenimagen.com/empresas/tasa-de-reciclaje-en-mexico-por-encima-de-otros-paises-anipac/123083 ↩︎
  4. https://www.ambienteplastico.com/tasa-de-reciclaje-en-mexico-de-las-mas-altas-en-latinoamerica/ ↩︎
  5. https://www.researchgate.net/publication/349379482_Informal_collection_of_beverage_containers_in_Montreal_and_the_Coop_Les_Valoristes_A_rapid_socio-economic_livelihoods_assessment ↩︎
  6. http://globalrec.org/fr/ ↩︎