Lettre d’opinion dans Le Devoir: « 50 ans de solidarités ouvrières internationales »

Par Geneviève Dorais, professeure au département d’histoire de l’UQAM et Sandrine Lebelle, candidate au doctorat en histoire à l’UQAM.
La lettre a parue dans le journal Le Devoir le 2 juin 2025.
Le sort des travailleurs du Québec ne se joue pas qu’à l’échelle nationale. Il faut prendre conscience, dans les rangs syndicaux québécois, d’une lutte commune à mener de front à l’échelle internationale. Voilà l’idéal qui guide les actions du Centre international de solidarité ouvrière (CISO) depuis sa fondation.
Le CISO fêtera ses 50 ans cet été. Pour l’occasion, son histoire sera mise à l’honneur dans l’exposition itinérante Un monde de solidarités : 50 ans de luttes ouvrières internationales. D’abord présenté à l’Écomusée du fier monde à Montréal à compter du 3 juin, le projet de commémoration circulera par la suite à travers le Québec.
Un rêve solidaire prend forme
La conférence internationale qui mène à la fondation du CISO s’ouvre le 12 juin 1975. Déjà, le slogan de l’événement met l’unité ouvrière à l’honneur : « Même ennemi, même lutte, même combat ! »
Pendant quatre jours, 600 personnes réunies au Collège de Maisonneuve font l’expérience d’une solidarité effervescente. Dans une ambiance de fête et d’échanges, les travailleurs québécois découvrent qu’ils ont beaucoup en commun avec les 44 délégués syndicaux venus de l’Amérique latine, des Caraïbes, de l’Afrique et du monde arabe.
Aucune rencontre du genre n’avait encore été organisée ni au Québec ni ailleurs en Amérique du Nord. Les organisateurs de la conférence voulaient à tout prix éviter « les patterns » des congrès syndicaux internationaux, durant lesquels les représentants occidentaux imposent leurs priorités. On souhaitait plutôt écouter les bases syndicales, et surtout les partenaires du Sud, déjà bien organisés dans des mouvements de décolonisation ou dans les luttes anti-impérialistes de l’époque.
Ces militants syndicaux étaient perçus, à juste titre, « au cœur du monstre » et aux premières lignes de la lutte anticapitaliste : ils avaient beaucoup à apprendre à leurs pairs québécois. Michel Chartrand, qui préside la conférence, souligne l’importance « d’écouter des travailleurs, de les questionner, de discuter avec eux ». Il fallait que « des gars » et « des filles » qui, d’un bout à l’autre de la planète, suent chaque jour pour enrichir le jet-set international aient enfin l’occasion de se parler.
Fascinés par ce qu’ils découvrent, les délégués du Québec veulent pérenniser les liens de solidarité créés à la conférence. Du Lac-Saint-Jean à l’Outaouais, en passant par le Bas-Saint-Laurent et Thetford Mines, ces syndicalistes s’engagent à éduquer leurs pairs sur le fonctionnement du capitalisme mondial. Une organisation permanente devient nécessaire. Peu de temps après, le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) voit le jour.
Profits sans frontière : résistances sans frontière
Depuis 50 ans, le CISO scrute sans relâche les grandes mutations de l’économie mondiale et leurs effets sur les classes ouvrières, ici comme ailleurs.
Dès les années 1970, il comprend que le sort des travailleurs québécois ne se décide pas qu’ici. Ses membres exposent les stratégies des multinationales qui, du Québec à l’Amérique latine en passant par l’Afrique, imposent leur logique : profiter du libre marché pour s’installer là où l’exploitation de la main-d’œuvre est la plus facile.
« Le capitalisme ne connaît pas de frontière. Il est international, explique Robert Quevillon, à la permanence de la CISO avec Ghislaine Raymond en 1975. Pour augmenter leurs profits, pour augmenter leur capital, les entreprises investissent là où les coûts de production sont moindres. » Face à ce nivellement par le bas, il ne suffit pas de défendre les emplois ou les droits syndicaux au Québec : pour le CISO, la seule réponse durable est la solidarité internationale.
Dans les années 1980, le CISO a été un partenaire important de la défense de la démocratie et des droits de la personne dans les pays d’Amérique centrale et du Sud aux prises avec des dictatures militaires. Il participe, par exemple, à l’accueil de nombreux réfugiés chiliens au Québec. À leurs côtés, il soutient la résistance contre le terrorisme d’État.
Refusant de laisser ces régimes opérer dans l’impunité, le CISO diffuse de l’information sur les violations des droits de la personne et prend part aux pressions internationales contre ces régimes. Hier comme aujourd’hui, la solidarité internationale du CISO s’érige comme rempart face à l’autoritarisme.
L’engagement du CISO envers les métiers majoritairement féminins s’intensifie dans les années 1990. Et si l’austérité, la dévalorisation des travailleuses de la santé et de l’éducation, et l’effritement des services publics n’étaient pas que des problèmes québécois, mais les symptômes d’un modèle planétaire ?
Grâce aux réseaux du CISO, plusieurs enseignantes et infirmières québécoises partent à l’étranger, tissent des liens avec leurs homologues du Sud. Elles découvrent alors une réalité brutale : sous la pression de la mondialisation financière, les États sabrent les dépenses sociales, affaiblissent les syndicats et privatisent les services publics. Elles puisent dans les luttes menées ailleurs des ressources pour résister, ici, aux mêmes politiques d’austérité.
Le CISO aujourd’hui
Ce n’est pas un hasard si les grands enjeux soulevés par le CISO dans les années 1970, 1980 et 1990 résonnent aujourd’hui avec tant de force. Veilleur attentif aux transformations de l’économie mondiale, le CISO a été aux premières loges pour observer les bouleversements qui ont façonné les réalités des travailleurs québécois : montée en puissance des multinationales, répression des mouvements syndicaux, déréglementation sociale et environnementale, précarisation généralisée. Et encore, voici un bien pâle inventaire de tous les combats qu’ont menés ses membres au fil du temps.
Le CISO, c’est avant tout la somme de centaines de militants dévoués qui, depuis un demi-siècle, adaptent les luttes des travailleurs québécois aux réalités d’une économie capitaliste mondialisée. Une conviction guide le CISO. Pour affronter un système d’exploitation planétaire, il faut s’organiser à cette même échelle : celle de la solidarité internationale.