Article dans l’Orient Le Jour: « Les employées de maison dans la rue, contre le système du garant »

Publié le 1 mai 2017

Par Anne-Marie El-HAGE, le 1 mai 2017

Toujours aucune amélioration dans la protection des travailleuses domestiques migrantes.

Pour la huitième année consécutive, à l’occasion de la fête du Travail, les employées de maison migrantes occupent l’espace public pour réclamer leurs droits à être reconnues par les autorités comme travailleuses à part entière, des travailleuses libres, pas des esclaves.

De Sodeco à Raouché, en passant par Zokak el-Blatt et Verdun, elles étaient plusieurs centaines, ce dimanche, à scander en chœur leurs revendications. Réclamant l’abolition du système du garant et de meilleures conditions de travail, elles ont dénoncé la discrimination et la violence dont elles sont victimes au Liban, non seulement par les autorités, mais aussi par la société. Menées par l’Alliance des employées de maison migrantes et son ardente représentante Gemma Justo, ces ressortissantes d’Éthiopie, des Philippines, de Madagascar, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Sri Lanka, du Bangladesh… ont invité aussi l’État à adopter la Convention internationale 189 de l’Organisation internationale du travail (OIT) portant sur les travailleuses et travailleurs domestiques.

« La kafala tue »

C’est par des youyous que s’ébranle depuis Sodeco, vers midi trente, le cortège coloré des travailleuses domestiques migrantes. Avec, en tête, la communauté éthiopienne, impressionnante par son nombre et sa mobilisation. Brandissant tout haut la revendication majeure inscrite sur une énorme banderole : « Pour l’abolition du système du garant (kafala), pour que la loi du travail englobe les employées de maison ». Le ton est donné. Venues individuellement, avec leurs compatriotes ou en famille pour certaines, les employées de maison étrangères traversent les rues de la capitale en criant, chantant et dansant. Suscitant la curiosité des habitants qui se pressent aux fenêtres. Invitant leurs pairs postés aux balcons à les rejoindre, car « elles ont droit à leur jour de congé hebdomadaire ».

Malgré la chaleur, les manifestantes défilent d’un pas soutenu, encadrées par des forces de l’ordre particulièrement bienveillantes, qui ouvrent la marche, bloquent la circulation et veillent au bon déroulement de l’événement. Vêtues des couleurs de leurs pays respectifs, brandissant drapeaux et calicots, ces femmes s’époumonent pour se faire entendre : « Nous voulons la liberté », « la kafala tue les travailleurs migrants », lancent-elles dans leur langue, et dans les trois langues pratiquées au Liban. « La liberté, cela veut dire que nous voulons être libérées du système du garant, obtenir le droit d’être responsables de nos papiers », explique à L’Orient-Le Jour Sébastienne de Côte d’Ivoire. D’abord employée sous contrat, cette travailleuse domestique a quitté la maison de son employeur parce qu’elle était « mal nourrie et maltraitée ». Elle espère pouvoir un jour récupérer son passeport et régulariser sa situation. « Pourquoi devons-nous être jetées en prison lorsque nous sommes en situation irrégulière ? » demande une de ses compatriotes.

Sur un trottoir, des habitants saluent les manifestantes. « Elles luttent pour leurs droits », reconnaît un homme. Mais son voisin lance, avec agressivité : « Qu’on nous donne nos droits à nous, Libanais, avant celles-là ! » À un carrefour, des automobilistes attendent patiemment que passe le cortège. Aucun ne klaxonne. « C’est leur droit, je les soutiens », dit un conducteur.

Déportations

Au sein de la marche, un groupe de travailleuses éthiopiennes dénoncent. « Pourquoi tant d’employées domestiques meurent-elles sur leur lieu de travail ? » demande Hanna. « On dit qu’il s’agit de suicides, mais certaines sont bien défenestrées. » La communauté éthiopienne montre aussi du doigt son ambassade, qu’elle invite à défendre les droits de ses ressortissantes avec « davantage de professionnalisme ». Chantant à tue-tête, des Camerounaises réclament « des horaires de travail décents, des heures supplémentaires payées ».

Au cœur de la marche, des bénévoles d’associations partenaires de l’Alliance, comme le Centre libanais des droits humains, Kafa, Insan, Amel, le Mouvement antiracisme. De nombreux militants aussi, venus à titre personnel soutenir la cause des employées de maison. Parmi lesquels le cinéaste engagé Lucien Bourjeily qui déplore que soit toujours en vigueur le système du garant ou kafala. « C’est ce système qui pousse au suicide certaines employées de maison », affirme-t-il. « Marcher avec ces travailleuses est le moins que je puisse faire. » Engagé également, Tom Horning, ce ressortissant américain ayant épousé une Libanaise, qui condamne « ce pouvoir absolu qu’a l’employeur libanais sur la vie de son employée de maison étrangère », et « l’impunité dont il bénéficie, en cas de maltraitance ».

À son arrivée à Raouché, la foule dense observe quelques minutes de silence à la mémoire des employées de maison « qui ont perdu la vie au Liban », de celles « qui ont été déportées pour leur activisme ». Les revendications sont alors énoncées en arabe, anglais et français.

Même si les fonds engagés pour l’événement n’ont pas été à la hauteur des attentes, crise syrienne oblige, la communauté des travailleuses domestique était bien au rendez-vous cette année. « Nous avons fait du bruit. Nous avons fait entendre notre voix. C’est l’objectif », dit avec satisfaction Gemma Justo. La musique africaine couvre rapidement sa voix. Place aux danses, au son du tam-tam.