Journée mondiale contre le travail des enfants – Nous sommes tous responsables!

Article paru dans Le Devoir, collectif d’auteurs
Publié le 14 juin 2011

Cette année, pour souligner la Journée mondiale contre le travail des enfants, le thème proposé par l’Organisation internationale du travail (OIT) cible un enjeu particulier: les enfants et les travaux dangereux. On dénombre aujourd’hui environ 215 millions d’enfants au travail dans le monde, dont la moitié qui assument des travaux dangereux (115 millions selon l’OIT). Ces derniers mettent ainsi en péril leur sécurité physique, leur sécurité psychologique, leur intégrité morale et leur dignité.

On parle ici d’enfants portant sur leurs têtes des charges trop lourdes, d’enfants travaillant dans des mines ou dans des plantations agricoles, manipulant du matériel chimique dangereux comme des explosifs, du chlore, des pesticides, comme c’est le cas dans l’industrie des feux d’artifice, du coton, des fleurs, etc. Cette dure réalité touche aussi les enfants enlevés de force pour devenir enfants soldats ou victimes de la traite sexuelle, de loin les pires formes de travail pour des enfants, qui sont alors réduits à un véritable esclavage.

Ce sombre portrait nous rappelle qu’à l’heure actuelle, alors que des chercheurs sont près de lancer leur sous-marin à résonance magnétique permettant de téléguider des médicaments dans une tumeur, alors que des scientifiques proposent de planter des arbres artificiels pour capter le CO2, un problème demeure auquel nous n’avons pas trouvé de solution: l’exploitation des enfants.

Évacuer les vraies causes

Pour faire face à ce problème non résolu, l’OIT propose un agencement d’actions devant être menées simultanément. Or, elles s’adressent particulièrement aux pays de l’hémisphère Sud. De plus, le discours utilisé par l’organisation internationale tend malheureusement à faire porter la responsabilité du phénomène à ces gouvernements du Sud, aux travailleurs de ces pays, et même aux enfants travailleurs. En effet, l’organisation parle d’augmenter la collecte de données sur l’âge et le sexe des «enfants en cause», elle invite à des campagnes de sensibilisation «pour que les adultes et enfants reconnaissent les dangers au travail», et souligne que les gouvernements ont la responsabilité de s’assurer que tous les enfants sous l’âge minimum de travail aient accès à l’éducation. Toutes ces mesures sont évidemment souhaitables, mais restent insuffisantes et déresponsabilisent certains acteurs concernés.

En fait, l’OIT ne s’attaque pas aux causes profondes du travail des enfants qui se situent en amont et elle ne met donc pas le doigt sur les véritables coupables de ce phénomène. Au premier chef, les entreprises étrangères (parfois canadiennes) qui engagent ces enfants et qui créent de la concurrence entre les pays pour avoir la main-d’oeuvre la moins chère, ce au mépris des conventions internationales sur l’abolition du travail des enfants. L’OIT n’en parle pas.

Les institutions à caractère économique comme le FMI et la Banque mondiale, qui forcent ces gouvernements à adopter des politiques néolibérales qui creusent les inégalités sociales, augmentent la pauvreté généralisée et forcent des familles à envoyer leurs enfants au travail. De cette cause, l’OIT ne parle pas non plus. Pourtant, c’est bien nous, consommateurs du Nord, qui sommes à la source de cette chaîne de causes et conséquences menant au travail des enfants. Ce sont nos entreprises qui emploient des enfants là-bas, et qui savent bien que personne ne leur demandera de comptes ici sur ce qu’elles font là-bas.

En fait, c’est tout le système économique à la sauce néolibérale et la logique du profit qui sont en cause, ce culte de la croissance imposé aux pays dits en développement, et qu’évidemment, une organisation comme l’OIT ne remettra jamais en question.

Notre rôle

Ce drame humanitaire repose donc sur plusieurs causes structurelles, dont plusieurs trouvent racines ici même en Occident. En ce sens, nous sommes aussi responsables du fait que des enfants travaillent encore en 2011, et nous pouvons faire notre part, en tant que consommateur et citoyen, pour y mettre fin. Comment?

– En mettant fin à la demande (ici) pour des produits à faibles coûts de production, c’est-à-dire fabriqués par une main-d’oeuvre sous-payée voire exploitée (ailleurs).

– En cherchant à connaître les conditions dans lesquelles ont été produits les biens qu’on achète.

– En demandant à nos élus qu’ils exigent des entreprises canadiennes oeuvrant à l’étranger qu’elles soient imputables et transparentes quant aux conditions de travail dans leurs succursales délocalisées, et ce, par rapport aux conventions sur le travail des enfants que le Canada a signées et qui les concernent donc aussi.

– En exigeant que nos élus aillent négocier des termes de l’échange plus équitables avec les pays dits en développement.

Ainsi, le travail des enfants dans le monde, c’est ici que ça commence.

La vraie valeur et les vrais coûts

En bref, nous ne payons pas la réelle valeur pour nos biens de consommation, tant en termes de coûts écologiques qu’en termes de coûts sociaux, notamment grâce à la main-d’oeuvre enfantine. Or, n’oublions pas qu’acheter au meilleur prix pour garder une bonne marge de profit implique aussi un coût social que nous paierons ailleurs; soit en budgets d’aide internationale, en charité pour la bonne conscience, ou en révoltes sociales à venir. Qui se rend compte qu’on lui a volé son enfance se révoltera un jour. Ils sont 215 millions.

Sommes-nous prêts à payer nos produits un peu plus chers pour que cesse l’exploitation des enfants dans le monde? Voilà la question que nous devons nous poser, en cette journée mondiale contre le travail des enfants. Il est temps de faire cesser l’hypocrisie et de favoriser un commerce équitable.

Chaque année depuis 2002, le 12 juin symbolise la Journée mondiale contre le travail des enfants. Sous l’égide de l’ONU, cette journée permet de rappeler tout le chemin qui reste à parcourir pour éradiquer l’exploitation des enfants par le travail.

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  • Arianne Cardinal – Coordonnatrice des communications et de l’éducation du public à l’Aide internationale pour l’enfance
  • André Jacob – Coordonnateur de l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations de l’UQAM et auteur
  • Renaud Ledoux – Coordonnateur de la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (CQCAM)

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/325452/journee-mondiale-contre-le-travail-des-enfants-nous-sommes-tous-responsables